Il s’agissait au départ d’un défi de dix minutes lancé pour ramasser les déchets au bord d’une rivière. C’est aujourd’hui une organisation qui change littéralement la vie. River Cleanup a vu le jour à l’initiative de Thomas de Groote et a déjà permis d’éviter que trois millions de kilos de déchets supplémentaires n’atterrissent dans les océans. Qui compose cette équipe de créateurs de différence et qu’est-ce qui les motive ? Nous les avons rencontrés pour vous.
Embellir les rivières : c’est une belle idée, mais comment est-elle née ?
Thomas : « Tout a commencé en 2017. Ma sœur m’a lancé le défi de ramasser les déchets au bord de l’eau pendant dix minutes. Ma première réaction ? Pas très enthousiaste. J’ai toujours été très attentif à mes déchets, pourquoi devrais-je m’occuper de ceux des autres ? Mais cela a éveillé quelque chose en moi. Il existe une sorte d’aveuglement par rapport aux déchets : comme vous n’y prêtez pas attention, vous ne les voyez pas. Mais dès que vous commencez à les ramasser, ils deviennent vraiment réels et vous n’avez qu’une envie : en ramasser encore plus.
J’ai posté une vidéo avec mes enfants sur les réseaux sociaux dans laquelle on ramasse des déchets habillés en superhéros. Et elle a connu un certain succès. J’ai reçu des réactions enthousiastes et d’autres personnes nous ont rejoints. Des voisins, des collègues… Le groupe s’est étoffé et nous avons rempli des sacs entiers de déchets. En 2018, nous avons déménagé en Allemagne pour le travail de mon épouse Nathalie et j’ai pris un congé sabbatique de six mois. L’objectif était de m’accorder une pause et de prendre un peu de recul par rapport à mon emploi de consultant en soins de santé. Mais le destin en a décidé autrement. J’ai contacté une organisation locale à Düsseldorf pour mettre sur pied une grande opération de nettoyage des bords du Rhin. Cette décision a changé ma vie. »
Quelle était votre ambition au début et comment avez-vous organisé les étapes suivantes ?
Thomas : « Avec le nettoyage du Rhin, nous voulions impliquer le plus grand nombre de gens possible en une journée. Notre objectif consistait à organiser 3 nettoyages des bords du fleuve dans 3 pays différents. Au total, 60 nettoyages ont eu lieu et environ 10 000 personnes de cinq pays ont participé. J’ai été frappé de voir les gens et les organisations se regrouper aussi facilement autour de cette initiative. Si deux communes décident de participer, celle qui se trouve entre les deux participera naturellement aussi. Cela crée des liens forts. Et depuis lors, nous avons lancé de très nombreux projets en Europe, en Asie et en Afrique. »
Où avez-vous trouvé les gens pour soutenir votre projet en pleine croissance ? Qu’est-ce qui les motive selon vous ?
Thomas : « Beaucoup de nos collaborateurs, dont mon bras droit Arno, ont presque atterri de nulle part. Comme un cadeau. Si vous parlez constamment de votre rêve et de votre projet, d’autres personnes en parleront également. C’est comme cela que ça s’est passé avec Arno : il a entendu parler de River Cleanup et est venu ici pour en discuter. Après un quart d’heure, il a dit : ‘OK, on fait quoi maintenant ?’. Il est aujourd’hui directeur des opérations. Nous comptons actuellement 10 collaborateurs fixes en Belgique et 10 à l’étranger. Nous travaillons aussi souvent avec des bénévoles que nous rencontrons notamment sur les réseaux sociaux. »
À quels défis avez-vous été confrontés pour faire grandir votre organisation ?
Thomas : « L’un des principaux défis d’une nouvelle ONG consiste à lever des fonds. Vous devez constamment raconter votre histoire et continuellement convaincre les gens pour obtenir des financements. Au début, nous avons pu rassembler quelques grandes entreprises autour du projet, ce qui nous a permis de le lancer. Compte tenu de l’ampleur du problème et de notre ambition d’éliminer le plastique des rivières, nous travaillons sans relâche pour conclure de nouveaux partenariats et mettre sur pied de nouvelles collaborations. »
Où en est River Cleanup aujourd’hui ?
Thomas : « Nous continuons notre mission de nettoyage et c’est très important. Mais les déchets viennent bien de quelque part. Nous organisons donc notre travail autour de trois piliers : nettoyer, éduquer, transformer. C’est la combinaison de ces trois actions qui permettra de parvenir à des rivières sans plastique. Nous insistons donc énormément sur la prévention ! Chaque plastique que nous n’utilisons pas est un plastique qui ne pourra pas polluer la nature. Dans les écoles, nous apprenons aux enfants l’impact de la pollution au plastique, nous réfléchissons avec eux à la manière de se passer du plastique jetable et nous proposons des solutions concrètes.
Nous avons par exemple installé des Ecobins à certains endroits de pays en développement. Il s’agit en quelque sorte de boîtes de collecte pour le plastique que nous plaçons en premier lieu dans les écoles afin d’apprendre aux enfants à y jeter leurs déchets de plastique plutôt que dans la nature. Ensuite, nous installons une deuxième Ecobin dans le village et ce sont les enfants qui apprennent alors les bons gestes à leurs parents, leurs amis et leur famille. L’école reçoit alors une somme d’argent qui dépend du nombre de kilos de déchets collectés. »
Êtes-vous aussi créateur de différence à d’autres niveaux, par exemple sur le plan énergétique ?
Thomas : « Je suis végétarien depuis quatre ans, mais je reste cependant flexible. En matière d’énergie, nous possédons des panneaux solaires, une pompe à chaleur et je roule à l’électrique depuis déjà plusieurs années. Mon épouse a aussi franchi le pas. Lorsque je voyage en Europe, j’emprunte toujours le train ou le bus pour la moitié du trajet. Le voyage peut alors facilement durer 26 heures, alors je choisis de revenir en avion et de compenser les émissions de CO2. Comme la plupart des gens, nous ne sommes pas parfaits, mais nous essayons de mettre notre pierre à l’édifice. »
Avez-vous des conseils pour les gens qui souhaitent devenir créateurs de différence ?
Thomas : « Trouvez votre passion. Pour ma part, je n’avais aucune idée de ce à quoi mon avenir pourrait ressembler, mais il semble que j’ai trouvé l’œuvre à réaliser dans ma vie. Il est impossible de planifier quelque chose comme ça. C’est un travail difficile, donc la passion seule ne suffit pas. Ce qui m’a aussi motivé, c’est l’envie de lutter contre le négativisme qui règne autour des questions environnementales. Il ne s’agit pas d’une cause perdue, vous pouvez agir ! Si tout le monde s’y met, nous relèverons ce défi ensemble. »
Avez-vous d’autres idées pour créer encore plus de différence à l’avenir ?
Thomas : « Il n’est pas nécessaire de réinventer la roue. Construire une collaboration durable avec d’autres organisations constitue un objectif en soi. Nous ne voulons pas tout faire nous-mêmes dans 195 pays, mais nous travaillons actuellement avec une université pour faire valider notre approche. Nous savons qu’elle fonctionne, mais nous voulons le prouver. Lorsque nous aurons cette preuve en main, nous partagerons nos connaissances avec ceux qui souhaitent agir localement au niveau de leur rivière. Nous misons sur une approche holistique et sur l’effet boule de neige. Nous voulons documenter et faire valider notre modèle à l’horizon 2025 et le partager avec le reste du monde, portés par l’utopie de voir des rivières exemptes de plastique partout sur la planète. Jusqu’à la fin, c’est la mission que je veux mener. »
Selon vous, comment la société doit-elle s’y prendre en matière de durabilité et de respect de l’environnement ?
Thomas : « Au sein de River Cleanup, le pouvoir de chaque individu nous paraît très important. Nous le combinons avec le dialogue mené avec les autorités et les entreprises. Se limiter à souligner ce qui ne va pas ne sert à rien. Le consommateur pointe l’entreprise du doigt, l’entreprise s’en remet au consommateur et ensemble, ils se tournent vers les autorités. En réalité, il s’agit d’une responsabilité partagée. Lorsqu’on les additionne, nos actions individuelles ont un impact sur le monde entier. »
Que pouvons-nous faire pour promouvoir davantage l’excellente approche de River Cleanup ?
Thomas : « La première chose que vous pouvez faire, c’est de diminuer votre utilisation de plastiques jetables. Buvez l’eau du robinet, utilisez moins de sacs pour faire vos courses, achetez en vrac, etc. Utilisez du shampooing solide plutôt que des bidons. Ne jetez rien par terre, mais cherchez une poubelle. Vous pouvez aussi participer à notre River Cleanup Challenge qui se déroule du 22 avril au 8 juin. Tout a commencé pour moi par une action de 10 minutes. Nous mettons donc 10 000 personnes au défi de ramasser des déchets dans leur quartier pendant dix minutes. Vous partagez ensuite votre action sur les réseaux sociaux et vous demandez à trois de vos contacts de faire la même chose. L’objectif consiste à sensibiliser un maximum de gens au problème et à les convaincre qu’ils sont la solution. Vous pouvez aussi bien entendu faire un don. Pour chaque euro collecté, nous ramassons un kilo de déchets. »
Quel est le conseil de durabilité ultime que vous pouvez donner à nos lecteurs ?
Thomas : « La seule manière d’agir, c’est d’agir ! Agissez. Commencez dès aujourd’hui et amusez-vous ! Si ce n’est pas fun, ce n’est pas durable. »