Créateurs de différence #8 : Casa pouBelle

Plus qu’une tendance, le recyclage est devenu un mode de vie. Nous n’en voulons pour preuve que le projet mis en œuvre par l’architecte d’intérieur gantois Stefaan Onghena, lequel a rénové une maison d’ouvrier du 19ème siècle à l’aide de déchets et de matériaux de récupération. Cet édifice et les meubles qu’il contient s’inscrivent parfaitement dans une démarche de récupération créative et de développement durable.

Depuis plus de trente ans, votre moteur principal est le recyclage de matériaux de toutes sortes. Quel a été le déclencheur de votre action ?

Dès les années 80, j’ai pris conscience de la problématique du gaspillage et de la « culture du jetable ». Depuis, fort de mon expérience en tant qu’architecte d’intérieur, je n’ai eu de cesse d’attirer l’attention sur l’ampleur du problème. Comment ? Notamment en étant moi-même un adepte du réemploi, en essayant de convaincre mes clients de ne pas jeter à tort et à travers et en participant au Conseil « Environnement » de la ville de Gand. Hélas, force est de constater que très peu de progrès ont été accomplis au fil des années, ce qui est hautement préjudiciable pour la planète.

Quelle a été votre première réalisation ?

Adolescent, je réparais de vieux vélos voués à la casse. J’utilisais du bois destiné à la déchetterie pour fabriquer toutes sortes d’objets. Ma première véritable « création » date de 1991. Il s’agissait d’une petite armoire réalisée à partir de vieux cageots de fruits. Les gens trouvaient cela bizarre. C’était comme si je n’avais pas les moyens de me payer une armoire neuve.

Créateurs de difference récupération créative

En 2000, vous avez revu vos ambitions à la hausse en achetant une vieille maison d’ouvrier. Quelles étaient vos intentions ?

J’habitais déjà à Gand, où je m’occupais de récupération et de réemploi. Mon emménagement dans la maison d’ouvrier m’a amené à revoir mes ambitions à la hausse, non seulement en matière de réemploi, mais également sur le plan énergétique. Mon objectif était de créer une habitation quasi-neutre en énergie et possédant une faible empreinte écologique. Lorsque les gens achètent une maison aujourd’hui, ils se débarrassent de tout ce qui leur semble inutile. Pas étonnant que le secteur de la construction représente quelque quarante pour cent de notre économie. Le transport des matières premières, la consommation énergétique du bâtiment, etc… Les chiffres relatifs aux déchets sont éloquents. Et, plutôt que de tout jeter, je souhaitais récupérer et donner une nouvelle vie aux éléments constituant la maison.

Comment procédez-vous ? 

Tout ce qui se trouve dans ma maison, je l’ai collecté quelque part. En tant qu’architecte d’intérieur, je suis évidemment aux premières loges pour récupérer des objets et des matériaux destinés à la déchetterie. Parfois, les gens se demandent à quoi peuvent me servir une vieille armoire ou quelques dalles usagées. Confiez-moi un camion pendant une journée et je suis capable de reconstituer une maison tout entière !

Développement durable Casa Poubelle

Quels matériaux récupérez-vous habituellement ?

C’est extrêmement varié : il peut s’agir de vieilles ardoises, de briques ou de coquilles Saint-Jacques comme revêtement de mur, ou encore de cageots de fruits transformés en commode. La bibliothèque est fabriquée à partir de caisses de vin, le plan de travail de la cuisine provient d’un laboratoire et les marches d’escalier sont en réalité d’anciens appuis de fenêtres. L’isolation de la maison est assurée grâce à plus d’un million de bouchons en liège récoltés dans des restaurants, des cafés et chez des amis et insérés un par un dans les murs. Ils servent à la fois d’isolant thermique et acoustique. Un travail fastidieux qui m’a pris les mains des jours durant. Ma maison est le résultat d’un chantier de longue haleine qui n’est d’ailleurs pas entièrement terminé. Des dalles doivent encore être rejointoyées, le toit de la terrasse n’est pas achevé, etc… Chaque chose en son temps !

Votre maison s’appelle « Casa pouBelle », un nom qui lui va à merveille. Outre les déchets, avez-vous utilisé des matériaux neufs ?

Récemment, une de mes amies m’a rendu visite en compagnie de sa fille, à qui elle avait expliqué que la maison avait été rénovée à l’aide de déchets et de matériaux de récupération. Dans son imaginaire, elle a dû s’attendre à une maison faite de bouteilles en plastique, de canettes et de bricaillons et pas à tout ce bois, à ces briques, ni à ces bouchons. Quoi qu’il en soit, elle a été séduite. À l’exception des panneaux solaires et du vitrage isolant, pas un seul matériau n’est neuf.

La maison est économe en énergie. Expliquez-nous.

Au moment d’acheter la maison, je me suis avant tout intéressé à son orientation. Grâce à la chaleur que je récupère par le biais de la verrière, je peux me passer de chauffage dans le séjour et la cuisine. Il fait peut-être moins chaud chez moi que chez le commun des mortels, surtout en hiver, mais une bonne couverture et un pull supplémentaire permettent de compenser. Le fait que la maison soit peu énergivore est également lié à mon mode de vie. Je n’ai ni téléviseur, ni machine à café… Mis à part un réfrigérateur et un lave-linge, je ne possède rien de superflu. Aujourd’hui, c’est principalement le comportement des consommateurs qui laisse à désirer. Si, par exemple, vous vous absentez deux semaines sans éteindre votre boiler, cela revient en quelque sorte à jeter l’argent par les fenêtres.

Développement durable Casa Poubelle

Votre toit est équipé de panneaux solaires. Mais possédez-vous d’autres appareils permettant de faire des économies ?  

Mes panneaux solaires sont mon seul luxe. J’ai mis au point mon propre système de chauffage et je récupère l’eau de pluie dans un réservoir ad hoc. Je ne possède ni mixer, ni téléviseur. Si nécessaire, je bats ma crème fraîche à la main (sourire).

Avez-vous une idée des économies d’énergie réalisées ? 

Ma production s’élève à environ 900 kilowatts et j’achète 600 kilowatts à la compagnie. Bon an mal an, cela me coûte vingt euros tout compris par mois. La preuve que cela fonctionne.

Pourquoi attachez-vous autant d’importance au recyclage et aux économies d’énergie ? 

Mon principal objectif est de lutter contre le gaspillage inutile. On préfère jeter plutôt que de prendre le temps de réparer. La machine à café ne fonctionne plus ? On en rachète une nouvelle, généralement plus perfectionnée. D’ailleurs, il est souvent plus onéreux de faire réparer que de remplacer. Absurde, non ? A fortiori lorsque l’on est conscient de la vitesse à laquelle augmente la montagne de déchets. Notre planète compte actuellement plus de sept milliards d’habitants et ce chiffre ne cesse d’augmenter. Si nous souhaitons conserver notre niveau de vie actuel, nous devons absolument nous ressaisir.

Créateurs de différence CasaPoubelle

Comment votre concept est-il perçu en 2018 ? 

Naguère, j’étais considéré comme une sorte d’illuminé, d’idéaliste ou de doux rêveur. Lorsqu’a démarré l’aventure « Casa pouBelle », je n’en ai pas beaucoup parlé autour de moi. Par la suite, j’ai organisé des visites guidées afin de vulgariser le projet. Et les réactions ont été partiellement positives. Mon site internet est énormément consulté par des visiteurs du monde entier. Quant à savoir si j’ai fait bouger les choses, permettez-moi d’en douter.

Vous allez devenir une source d’inspiration pour beaucoup d’entre nous. Quels conseils donneriez-vous pour faire des économies d’énergie ? 

Créativité, tel est le maître-mot caractérisant ma maison. Une notion trop peu mise en valeur de nos jours. Chacun d’entre nous possède une dose de créativité qui ne demande qu’à s’exprimer. Sans forcément tenir compte des tentatives antérieures. N’hésitez pas à vous poser les questions qui fâchent. Dans quel monde vivons-nous ? Est-ce de cela dont j’ai envie ? Dans quel état allons-nous laisser la planète à nos enfants ? La réponse à ces questions devrait vous permettre de prendre conscience de l’urgence de la situation.

CasaPoubelle intérieur de récupération