Créateurs de différence #12 : Too Good To Go

En Belgique, nous sommes malheureusement l’un des champions d’Europe en matière de gaspillage alimentaire. Chaque année, chaque Belge jette environ 345 kilos de nourriture à la poubelle. Pour les fondateurs de Too Good To Go, ce problème devait être résolu de toute urgence. Franco Prontera — aujourd’hui Country Director — fut l’un des premiers passionnés à rejoindre le mouvement lancé par l’application en Belgique. Il nous raconte comment Too Good To Go se profile aujourd’hui de plus en plus comme un Créateur de différence.

Comment Too Good To Go a-t-elle vu le jour ?

Franco : « L’app a été lancée en 2016 par cinq amis danois qui partageaient une passion pour l’économie alimentaire. Ce projet a commencé à une toute petite échelle, mais l’un des fondateurs avait une amie en France qui voulait participer, un autre connaissait quelqu’un intéressé au Royaume-Uni, un troisième en Allemagne, etc. Plutôt que de se faire concurrence, ils se sont unis pour pénétrer en même temps sur ces différents marchés. Lors d’un voyage à Myanmar, j’ai rencontré Jonas Mallisse. Il avait croisé un couple danois en Inde qui lui avait parlé du concept avec énormément d’enthousiasme. Jonas a immédiatement été séduit et a voulu participer au lancement de l’application. Lorsqu’il m’a expliqué le projet, j’ai été directement convaincu de son intérêt. C’est ainsi que le Too Good To Go belge est né en 2018. »

Quelle est votre principale motivation ?

Franco : « Je suis écologiste scientifique de formation, mais j’ai de nombreux entrepreneurs dans ma famille et l’entrepreneuriat est dans mon ADN. Par le passé, j’ai lancé plusieurs entreprises — parfois avec succès, parfois pas, mais j’ai toujours appris de ces expériences. Je crois en tout cas profondément au business for good. Le label B Corp constitue un bon exemple. Je suis convaincu que les entreprises peuvent amorcer des changements positifs. Ce croisement entre business model et impact sociétal me semble très intéressant. Je crois par ailleurs beaucoup à la puissance de la technologie pour amorcer des changements majeurs dans le monde. Comme vous le voyez, mes passions collent parfaitement avec Too Good To Go ! »

Comment fonctionne l’application pour le consommateur ?

Franco : « Le principe est simple. Vous téléchargez l’application gratuitement et vous créez très facilement votre profil. Lorsque l’app s’ouvre, vous voyez immédiatement apparaître les commerces participants aux alentours : boulangeries, boucheries, supermarchés, sandwicheries ou restaurants. Vous avez alors la possibilité de récupérer leurs invendus en fin de journée à prix réduit. Il s’agit d’un concept fort et d’un concept de marché typique : en tant que consommateur, vous recevez une certaine offre et en tant que partenaire, vous rencontrez immédiatement des consommateurs qui souhaitent acheter chez vous. Même si elle s’est développée, cette idée de base est restée la même au fil des années. De nombreuses personnes travaillent sur cette application que nous essayons toujours de rendre aussi conviviale que possible. L’offre est ainsi toujours plus large et plus diversifiée. Désormais, l’app mémorise aussi vos préférences, pour vous permettre de trouver plus rapidement un produit comparable. Au début, les supermarchés proposaient des paniers assez généraux. À présent, ils proposent plus spécifiquement un panier boucherie, fruits, légumes ou pain. Pour le commerçant, cela ne fait pas une grosse différence, mais pour l’acheteur, c’est important. Les options de paiement sont aussi plus nombreuses. »

Faut-il amener ses propres contenants dans chaque magasin ?

Franco : « Dans l’optique de réduire l’impact sur la planète, nous préférons éviter au maximum les emballages et le plastique. La règle générale consiste donc à demander à l’acheteur d’apporter ses propres contenants, tels qu’un sac, une boîte ou une caisse. Mais si le produit ou la façon de travailler ne le permet pas (si un produit est préemballé, par exemple), il peut alors bien entendu être emporté en l’état. »

Quel est le principal avantage pour le consommateur ?

Franco : « En premier lieu, en tant que consommateur, vous payez moins et vous recevez plus, ce qui est déjà plutôt chouette. Mais ce que je remarque moi-même, c’est que deux sentiments très positifs se superposent : tout d’abord, vous allez sauver quelque chose, mais vous ne savez pas ce que c’est. Il s’agit en quelque sorte d’un cadeau. Quand je récupère un panier avec mes enfants, c’est toujours un moment très cool, créatif et original. Ensuite, vous mangez quelque chose qui ne sera pas jeté grâce à vous. Et effectivement, vous payez beaucoup moins cher. Et savez-vous quel avantage supplémentaire j’y vois ? Quand je voyage, mes commandes Too Good To Go me permettent de découvrir de nouvelles adresses intéressantes. Lorsque je me rends dans un magasin ou dans un restaurant pour retirer un panier Too Good To Go, j’ai une bonne image de ce commerce qui adopte une démarche progressiste. Et donc, par la suite, vous avez envie d’aller manger là-bas. »

Combien de personnes utilisent Too Good To Go aujourd’hui ?

Franco : « Actuellement, près de 2,5 millions de personnes ont installé l’app en Belgique. La progression est exponentielle puisque nous nous sommes lancés en 2018. Nous pouvons également compter sur près de 7 000 partenaires (supermarchés, boulangeries, commerçants). »

Gagnez-vous aussi de l’argent ?

Franco : « Notre business model est simple et le restera. Nous recevons une petite commission pour chaque panier réservé. En tant que consommateur, vous payez 5 euros pour un panier d’une valeur de 15 euros. Vous économisez donc 10 euros. En tant que partenaire, vous recevez une partie de ces 5 euros qui seraient normalement perdus. L’autre partie représente notre commission. Ce qui est formidable, c’est que nous valorisons des produits qui ne pourraient pas l’être autrement. »

« Avec nos consommateurs et partenaires fidèles, nous avons sauvé près de 11 millions de paniers ! »

Quels sont les objectifs que vous vous fixez ?

Franco : « Plus nous sauvons de paniers, plus l’entreprise grandit. Et vice versa. Trouver autant de partenaires et de consommateurs que possible est donc très important, mais nous devons y parvenir de manière réfléchie. Le marché sur lequel repose notre application nécessite un certain équilibre, car s’il y a trop de consommateurs, l’offre se révèle insuffisante. Et si nous avons trop de partenaires, le nombre d’invendus serait trop élevé. Notre but consiste donc à évoluer de manière équilibrée.

Par ailleurs, nous voulons proposer une app aussi conviviale que possible. À cet égard, les attentes des consommateurs et des partenaires sont différentes. Nous voulons proposer les bonnes choses au bon moment et diriger le plus simplement possible les consommateurs vers les commerces à travers l’intégration d’applications comme Google Maps ou Waze. Il sera dès lors plus facile de sauver des paniers. Et pour nos partenaires, nous voulons qu’il soit encore plus facile de mettre ces paniers à disposition. Ils sont déjà tellement préoccupés par la gestion économique de l’entreprise, la gestion du personnel et la logistique. Too Good To Go ne doit donc pas représenter un problème supplémentaire, mais leur faciliter la tâche.

Nous travaillons aussi actuellement à notre positionnement à d’autres niveaux du secteur alimentaire. En Europe, seuls 20 % des déchets proviennent des commerces de détail et de la restauration. Le reste provient de l’agriculture, de la production et de la consommation. La sensibilisation, le stickering, les dons et la possibilité d’acheter en lot sont des domaines auxquels nous nous intéressons et dans lesquels nous comptons investir. »

Êtes-vous également attentif à ces questions dans votre vie personnelle ?

Franco : « À tous les niveaux, en réalité. Je ne suis pas pour autant un saint et je fais aussi parfois des choix moins écologiques, mais je trouve cela très valorisant de s’impliquer en faveur de l’environnement et de contribuer à sa préservation. J’achète presque tous mes vêtements en seconde main, par exemple. Ma famille n’apprécie pas toujours, car c’était jadis mal perçu. Mais de nos jours, il est possible de trouver de très beaux vêtements dans les friperies ou sur Vinted à des prix très bas par rapport à leur valeur initiale. Les derniers vêtements que j’ai achetés sur Vinted étaient par ailleurs des marques écologiques ! La preuve qu’avec un peu de créativité, vous pouvez acheter moins cher et de manière plus respectueuse de la planète, dans les rayons d’un magasin ou en ligne. Il s’agit aussi d’un signal envoyé aux personnes de notre entourage qu’il est possible de faire mieux. »

Et comment cela se manifeste-t-il sur le plan énergétique ?

Franco : « (rires) J’ai installé des panneaux solaires chez moi il y a deux semaines. C’est cool ! Cela me procure un sentiment très agréable de produire de l’énergie. Je travaille à mi-temps chez moi et ma compagne passe aussi beaucoup de temps à la maison en tant qu’indépendante. Nous consultons donc fréquemment l’app dédiée et lorsque nous atteignons notre pic de production, nous branchons les appareils les plus énergivores. C’est mieux pour l’environnement et c’est mieux pour notre portefeuille. Nous sommes aussi bien équipés au niveau de la récupération des eaux. Des puits et des citernes d’eau de pluie sont installés dans le jardin et cela couvre la quasi-totalité de notre consommation. Je pense que si chacun prend ses responsabilités en posant un geste concret comme celui-là, nous pouvons réellement faire la différence. »

Fantastique ! Nous terminons traditionnellement nos interviews en demandant à nos interlocuteurs de donner un conseil aux lecteurs en matière d’économie d’énergie. Quel serait le vôtre ?

Franco : « Je vais rester dans la thématique de mon travail : lorsque je commande un panier Too Good To Go dans un supermarché, je regarde ce qu’il contient. S’il s’agit par exemple de pains pour hamburgers et d’une boîte de pêches, je prends en plus une salade et de la viande pour les hamburgers, et du yaourt pour accompagner les pêches au dessert. Vous vous assurez ainsi de ne pas devoir jeter la nourriture dont vous ne sauriez pas quoi faire. Je cherche aussi les articles en vente rapide grâce aux stickers apposés sur les boîtes. On trouve aussi des choses sympas qui peuvent toujours être consommées. Et vous savez ce qui est chouette aussi ? Se rendre chez le marchand de fruits et de légumes près de chez vous. On associe souvent « local » et « cher », mais rien n’est moins vrai. Vous pouvez aussi réaliser de belles économies en vous rendant directement à la ferme. Et cerise sur le gâteau : vous consommez des fruits et des légumes cultivés localement. »